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Icare, Sigmund et moi

 

Vienne (Autriche), Berggasse 19, maison de Sigmund Freud, dix minutes avant la fermeture, un jour d’automne froid et humide.

Pendant que mon épouse s’attarde à la librairie du musée, je suis seul dans la pièce principale de la maison. C’est ici que celui que la folie des hommes a contraint à un exil à Londres en 1938 a effectué ses premières recherches. Sur un guéridon, un vieux bouquin, “DieTraumdeutung”, avec un bref descriptif où l’on peut lire que, selon le père de la psychanalyse, “le rêve est l’accomplissement d’un désir inconscient”. Soit !

Je reste perplexe. Aussi loin que remontent mes souvenirs, je fais toujours le même rêve, à intervalles réguliers. Suspendu en plein ciel, allongé sur le ventre bras et jambes écartés, je m’enfonce irrémédiablement malgré les battements de bras frénétiques qui m’épuisent. A un moment donné, n’en pouvant plus, je relâche mes efforts et c’est alors que je commence à voler. Mon rêve s’arrête toujours là ! Ni descente vertigineuse dans un abominable trou noir, ni aspiration irrésistible vers notre étoile préférée comme Icare... le réveil se fait toujours dans le calme... je volais paisiblement et me voilà bêtement comme un imbécile dans mon lit,
réveillé et déçu.

Que peut-il bien se cacher dans mon inconscient derrière cette histoire ? Dois-je ou aller voir un psy ou entamer une analyse? Et cette insupportable position allongé sur le ventre qui me procure tant de plaisir et me fait friser l’extase quand je suis seul dans l’azur ? Qu’y a-t-il donc d’enfoui pour tenter encore, à plus de 60 ans, de jouer stupidement à l’oiseau au risque de me briser les ailes et le cou ? La cire qui soutient mes ailes fondra-t-elle un jour ?
Tant de questions sans réponse. Quel sens donner à ces curieuses pulsions ? Qu’en aurait donc pensé ce cher Sigmund ? Une petite cloche me sort de ma torpeur, c’est l’heure de la fermeture. Mon épouse sort de la librairie la mine réjouie, quelques ouvrages sous le bras. La nuit tombe et le petit crachin glacial s’est transformé en pluie.

Avril 2004, Castelluccio di Norcia.
En ce début de saison, la région est déserte. Nous ne sommes que trois pilotes du club et je suis le seul à voler en delta. Le temps est gris, froid, humide. Le vent de l’Adriatique souffle fort et la base des nuages flirte avec les sommets du côté de la plaine de Norcia. Rien de très
enthousiasmant. D’ailleurs, nos compagnes ont déserté le plateau à la recherche d’un secteur plus agréable, voire d’un musée chauffé...

On décide quand même d’aller voir ce que ça donne au décollage Est, au-dessus du village. On est là pour voler, alors… Le vent est effectivement très fort et la grisaille ambiante peu engageante. C’est trop fort pour les parapentes mais ça semble jouable en delta. Je monte rapidement mon aile en contrebas, à l’abri des rafales indiscrètes pendant que mes camarades parapentistes grignotent à l’intérieur du véhicule. Le temps passe... Craignant un renforcement du zéphyr (version Illiade, allez donc voir sur Wikimachin..), je passe à l’action, sans prendre le temps de me mettre quelque chose dans l’estomac.

Fabuleux : ça tient partout en dynamique. C’est doux, laminaire, régulier, on peut même s’avancer assez loin sur la plaine, et je ne m’en prive pas. Le paysage est comme toujours somptueux. Le ciel de plomb et la couleur très sombre des étendues herbeuses renforcent l’impression de solitude et d’isolement. Seul sur cet immense plateau déserté de toute présence humaine, j’ai la sensation de survoler le désert de Gobi. L’étonnante facilité du vol
et les immenses champs en-dessous font que mon esprit divague agréablement. Un petit tour sur le Rifugio Perugia où nous avons passé la nuit, un survol de la partie sud du plateau totalement inondée à cette époque de l’année, deux chamois qui sortent d’un petit bois... Tout va pour le mieux sauf que, terrible et incontournable réalité propre à la condition humaine, j’ai terriblement froid et faim, après quatre-vingt dix minutes passées dans les airs !
En plein milieu du plateau, le long de la piste qui mène à la pente-école, un camping-car égaré. A coup sûr des amoureux de solitude et de grands espaces. Mes camarades parapentistes m’ayant informé à la radio qu’ils persistent à attendre une improbable baisse du vent au décollage, je décide d’aller poser du côté du camping-car en question. Il est toujours préférable d’aller rejoindre la planète non loin de nos semblables, on ne sait jamais... Avec un
vent au sol de 15-20 km/h laminaire et en l’absence totale de déclenchement thermique, le posé est un bonheur ! Ça arrive !


Je n’ai même pas le temps de mettre l’aile dos au vent et de sortir du harnais, tout juste ai-je enlevé le casque. Le propriétaire du camping-car arrive vers moi, deux verres à la main. Ma compréhension limitée de la langue de Dante ne me permet pas de saisir avec précision le sens des nombreuses explications qu’il me donne. Mais une chose est certaine, il FAUT que je lui dise immédiatement ce que je pense du vino bianco frizzante qu’il vient de me proposer.

En blanc, j’avoue avoir un faible pour les Sancerre ou les Bourgogne, mais, dans les conditions présentes, ce vino frizzante me convient parfaitement. D’ailleurs, j’avais soif ! Je baragouine quelques mots en italien pour tenter de lui faire savoir tout le bien que je pense de ce pétillant et rafraichissant breuvage. Je m’extrais de mon harnais et vois arriver vers nous la charmante compagne de mon interlocuteur (qui, d’après ce que j’ai compris, semble exercer l’honorable profession de négociant en vins dans la région du Chianti). Elle parle avec véhémence, vite, très vite, trop vite pour moi... s’énerve un peu, me prend par le bras et m’emmène de force dans le camping- car... où la table est dressée ! Quelques fines tranches de jambon de Parme, un plat de pâtes al dente “al pesto genovese”, du fromage de brebis local et un Tiramisu acheté le matin même dans la meilleure boulangerie de Norcia. Côté hydratation, l’œnologue amateur qui sommeille en moi doit donner son avis (c’est une obligation !) sur un Chianti vendanges tardives et sur un autre vin rouge plus léger de Toscane.

Ma radio grésille subitement : “Alain, on est vraiment désolé de t’avoir laissé te cailler à l’atterro. Finalement, ici, le vent est toujours trop fort pour nous. On descend dès que possible. Toutes nos excuses...”.

Fin de l’excellent Tiramisu.
- Cafè?
- Si, si... ma molto longo...
- Grappa?
- un poco, grazie mille.

Tutto va bene, cher Sigmund ! Tout est maintenant limpide et simple. Il suffit tout simplement
de suivre les conseils de son père… en ne s’approchant pas trop près du soleil.

Remerciements à Jean-Pierre Bacri et à Sam Karman (Kennedy et moi, 1999)

Alain Etienne

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