Rigide : tu te réveilles d'un autre monde !
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- Publication : samedi 31 octobre 2009 11:47
- Écrit par Patrick Bouillet
J'ai fini de monter ma poutre et je fais de l'huile
Volant depuis 1995 sous l'ex-aile de Philippe Marzlin, j'avais décidé en 2001 de changer de machine : la XS 155 Race après plus de 10 ans de bons et loyaux services commençaient à montrer des signes de fatigue et puis j'en avais un peu marre de me faire « taper » en transition par les petits copains. Lors d'un stage « Métamorphose » d'Alain Chauvet en août à Laragne, que je recommande à tout deltiste qui souhaite réellement « sortir du bocal » (NDLR: plus d'infos sur le stage ici), je cherchais activement une bonne occase. Elle se présenta sous forme d'un grand Exxtacy de 1998. Révision de l'engin à Grenoble, Mistral, chocottes, il me fut impossible d'essayer la machine cette année là.
Août 2002, retour à Laragne, bien décidé à voler sous mon nouveau jouet mais avec toujours une forte appréhension malgré les assurances de Loïc (Directeur de l'école parapente du Club Celtique de Vol libre mais qui vole toujours en delta) qui venait de prendre en main son Ixbo à Kervigen (cécomundeltaméenmieu). Pour mon premier vol, je décidais d'assurer en contactant Bernard Kurtz qui m'avait formé en 1992 à Saint Hilaire et qui depuis à rejoint ce merveilleux terrain de jeu des Alpes du Sud. (C'est le seul endroit en France que je connaisse où l'on voit plus de 50 deltas sur un déco !). Rendez-vous est donné à 10 h à Aspres « la Longeanne », décollage des antennes 1400m. Atterrissage du site, l'aérodrome du Chevalet : rassurant on peut y poser un petit Boeing ! 700 m de dénivelé, même pour un plouf, ça laisse le temps de voir comment se comporte la bête.
Montage de l'engin : facile et réalisé en 30 mn. Il faut seulement faire attention aux volets et spoilers en carbone donc fragile et donner un peu d'huile de coude car mon Exxtacy n'est pas doté d'étarqueur de canne (très physique). Une fois monté l'engin a belle allure, la toile tendue sur les nervures donne un joli son de tambour.
Sur les épaules, il faut quand même reconnaître que c'est plutôt une aile d'homme : 48 kg. Je rassure ceux qui seraient tentés par l'aventure, les rigides plus récents ont sérieusement maigri pour ne peser que 35 kg (soit le poids d'un Delta sans mat standard).
C'est l'heure... accès au déco, j'ai l'impression de monter le Golgotha
Bon, ce n’est pas le tout, mais va falloir y aller (je fais de l'huile). Des élèves de Bernard sont déjà en l’air et malgré l'heure matinale pour ce site qui est plutôt un site de l’après midi, ça tient sans problème à hauteur de la crête voire même au-dessus. Je m'approche de la cassure avec les genoux qui flageolent (le poids ? la trouille ?). Visite Prévol d'usage, bien accroché, 15° de volets (à surtout ne pas oublier à moins de s'appeler Ben Johnson). L'aile est bien équilibrée sur les épaules et se cale naturellement dans l'écoulement des 10 km/h de vent de face.
Mise en mouvement tranquille comme on m'a appris, un pas (l'aile vole toute seule), 2ème pas (elle me prend en charge), 3ème pas (pour la forme car je suis déjà en l'air). Pas le temps de se poser de question, je ferme le harnais et me dirige vers les petits copains qui font mieux que tenir à présent. Une première remarque, la mise en virage est tranquille et sans effort puisque ce sont les spoilers qui travaillent.
Inutile d'essayer de « guidonner », ça ne sert à rien. La gestuelle est presque la même qu'en souple, tirer (doucement), décentrer le trapèze (pas le corps donc pas d'effort), cadencer en poussant. Un gros changement par rapport à l'XS, ou j'avais en permanence l'impression de faire de la manut'. Arrivé sous la mini-grappe des copains, accélération des filets d'air, le vario fait Bipbip 2-3m/s intégré (chouette). Coup d’œil au badin, 50 km/h. Ooooooh, bijou. Je fais comme on m'a dit, conditions moyennes, tu enroules à 35/40 km/h pas plus. Je pousse, recentre le thermique, bien large et pas trop turbulent. Un p'tit coup d’œil au dessus, les copains se rapprochent vite. Pas trop sûr de leur connaissance des priorités, je préfère élargir et faire l'extérieur. En un tour et demi, je passe au dessus.
Ca vole vachement bien ce machin ! 10 mn après me voici aux barbules à 2700 m QNH. Coup de radio à Bernard:
« Euh, dis, c'est pas un peu bête de perdre tout ce gaz pour aller directement au terrain ?
- Si tu es bien, continue ton vol et profite !
- Bon, ben je vais aller faire un tour jusqu'à l'Aiguille (transition de 8/10 km) même si je ne raccroche pas, je serais toujours en local »
Je lâche les volets, la barre recule, la bête change d'incidence et accélère toute seule, 50 km/h au badin,
-0,5m/s au vario, oulalah ! Allez, je me risque, je tire un peu, (la vitesse augmente rapidement), 60,70, beaucoup 80, 90 km/h et l'aile reste parfaitement en ligne pas le moindre mouvement parasite ni roulis hollandais, vraiment très rassurant. Le rappel au neutre est faible, présent puis à nouveau faible tout en restant perceptible. Par contre à ces vitesses là le vario se casse la figure (-2, -3m/s). Cependant en cas de coup dur ou de gros cum aspirateur, c'est un facteur de sécurité évident.
En moins de 10 mn la transition est achevée et j'arrive très au dessus de la crête. Je repère des planeurs qui enroule plus à l'Ouest et je me rapproche d'eux, nous refaisons ensemble le plein. Coup de radio :
« Bernard, je vais tenter de rentrer à l'attero du camping de Laragne (30 km) par le chemin classique.
- Ok, bon vol. Ca ira pour l'attero ?
- Faudra bien. Au pire, je poserais sur les roulettes.
- Un de mes élèves te suit. mais à distance.
- Ok, pas de problème, je le vois. (il vole sous un F1 Evo)»
C'est reparti pour une nouvelle transition, je passe le verrou de Serres et sa vallée imposable, survole la ville et raccroche sans problème le Nord de la crête de Beaumont et sa carrière qui m'a déjà servi de nombreuses fois de pompe de service. Un plein pour assurer. La journée avance et les conditions sont de plus en plus fortes avec des pétards en instantané de +10, +12m/s et des plafonds qui grimperont jusqu'à 3 200 m.
L'élève de Bernard arrive en fin de cycle et très bas dans la pompe, il se posera à côté de Serre. Premier Cross, première vache et 30 km au compteur, il était déjà très content.
Constat, comme la structure ne se déforme pas à l'inverse du souple, on ressent beaucoup plus l'aérologie. Il n'est pas rare de se retrouver en apesanteur dans le harnais ! Très désagréable au début, mais on se fait à tout. Autre constat, comme la mise en virage ne réclame aucun effort, après 2 h et ½ de vol, je suis frais comme l'oil, même si le stress a « bouffé » déjà pas mal d'énergie.
Nouvelle transition, crête Sud de Beaumont, je néglige le plein et file jusqu'à la Montagne de Garde pour un nouveau plein. Les balises m’indiquent que le vent est toujours léger (10 km/h) et Sud (donc de face). Je retrouve des compétiteurs du National Allemand partis de Chabres (décollage de Laragne) plus au sud et filent vers le Nord vers le Pic de Bure via les reliefs que je viens de survoler. Nouvelle transition (12 km) « à contre courant » et je me retrouve dans une grappe de furieux au dessus du déco.
Moins de trois pas et je suis en l'air... Localisation : Aspres la Lonjeanne - les antennes.
Bon, plus de 4 h de vol, il va falloir songer à rentrer avant que les Teutons furieux saturent le ciel de l'attero. Je connais bien ce terrain, décide de ne prendre aucun risque et de me poser sur les roulettes. Le stress remonte d'un cran, je tire à fond les volets. L'aile se cabre un peu et la finesse se dégrade très très nettement. En fait, cela me fait l' effet d'avoir tiré le Drag Chute. Certains l'utilisent d'ailleurs en plus des volets. Je n'imagine même pas le taux de chute !
Je choisis une PTU, avec une branche arrière très haute, ce qui va me permettre de gérer mon point d'aboutissement en agissant sur la barre (comme avec un drag on vous dit !). Alignement, point d'aboutissement au milieu de ce terrain (très grand . tant pis pour la marche), prise de vitesse (sécurité), arrondi, palier, les pieds commencent à toucher, puis les roulettes, je m'arrête en 3 m.
Bon, ben la prochain fois, j'atterrirais sur les pieds. La vitesse d’atterrissage est inférieure à celle d'un delta classique et l'on sent très nettement le bon moment pour le poussé final. Il est cependant préférable d'accompagner de quelques pas le posé si l'on n'est pas à l'aise, surtout que le poids de la machine au sol se fait très rapidement sentir et que les montants non renforcés jouent très bien leur rôle de fusible (c'est du vécu). En conclusion, 1er vol, 4 h 30, 75 km, pas de bobo, que du bonheur.
Le poids de l'aile n'est absolument pas perceptible en l'air. La mise en virage est un peu plus lente qu'avec un souple mais sans excès. Même si l' Exxtacy préfère moyenner, il est possible de lui donner beaucoup d'angle pour noyauter des pétards teigneux, la vitesse augmente alors (il m'est arrivé de thermiquer à plus de 60 km/h !). La vitesse de finesse max (15/16) se situe aux alentours de 65/70 km/h et le taux de chute mini est de 0,7m/s vers 45 km/h. Avec ces engins, l'usage d'un harnais adéquat est impératif ! Mon vieux Keller intégral faisait ainsi une très jolie ancre volante!
..tain, ça vole super bien ! En route pour le plafond...
Patrick Bouillet
www.wikidelta.com, le magazine en ligne du deltaplane.
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Article de Patrick Bouillet, 2009.