Vols dans le massif des écrins I
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- Publication : dimanche 17 août 2008 12:17
- Écrit par Frédéric Pignet
VOLS DANS LE MASSIF DES ECRINS...
Je vole libre depuis plus de vingt ans et j’ai découvert le Massif des Ecrins il y a huit ans.
Cette année je décide d’y faire le siège de fin juin à fin août. De Lyon où j’habite, je guette la météo et dès qu’un créneau météo de 3 jours s’annonce, je fonce à Briançon.
Sur 6 raids de 2 à 3 jours j’ai pu me satelliser 5 fois à plus de 4000 mètres et faire 2 vols fabuleux : les 22 et 24 août 2001.
Le 22 juillet au décollage du Granon : vers 12h nous sommes 6 pilotes à nous activer car les connaisseurs comme mon ami François Estève savent que ce décollage peut être traître ; en effet il est courant que vers 14h il ne soit plus praticable en raison d’une brise descendante. C’est pourquoi personnellement je préfère le décollage de Bouchier au-dessus du village des Vigneaux, mais j’y reviendrai plus loin.
François me confie qu’il est fébrile car les conditions lui semblent vraiment optimum et il ne veut pas les rater, je suis bien de son avis et nous savons que la case départ n’est pas toujours évidente : j’ai vu de nombreux pilotes frustrés soit parce qu’ils ont dû replier au décollage ayant tardé à décoller soit parce qu'ils ont raté les premiers petits thermiques souvent mal organisés dans les basses couches.
Il est environ 13h 30, mon ami Joël le pilote local arrive avec d’autres pilotes. Des tendances de vent de travers contrarient les biroutes au décollage ; voyant ces mauvais signes, je saute dans mon harnais en hurlant à mes potes : « on a 5 minutes pour décoller". En effet nous sommes 5 à pouvoir décoller car la brise descendante a fermé la fenêtre.
Comme à mon habitude je néglige les petits thermiques mal établis devant le déco sans doute dus à la présence d’un plateau qui perturbe leur écoulement et je fonce à 1 km à l’Est. Là, comme à chaque fois, j’y trouve le premier thermique qui assurera le premier plafond à 4150 mètres.
Nous nous regroupons et j’annonce ma transition directe vers lac de l'Eychauda. C’est un des points d’entrée dans le massif délicat à négocier mais qui marche très souvent à condition d’y travailler parfois plusieurs minutes. A ce point, nos amis de Savoie que j’avais briffés au déco nous faussent compagnie. Dommage ! Nous restons François et moi, seuls pour déguster un immense gâteau de rocher glacé. Nous assurons un plein à 4100m sur la face sud de la pointe des Arcas et fonçons sur le Pelvoux où un des rares cumulus nous appelle et nous voilà sur la tête du premier géant de 4000 m à contempler sa belle chevelure de glace.
François me confiera le soir que son rêve serait de s’y poser, d’y bivouaquer et de re-décoller. Il a une bonne expérience d’alpiniste et connaît le coin pour l’avoir pratiqué en escalade, il m’assure que l’on peut descendre à pied sans escalade en cas de problème… Pour ma part je ne suis ni alpiniste ni sportif alors cela me semble un tantinet osé ! Mais j’imagine que lorsqu’on pratique ces sommets à pied, le plaisir de les survoler doit être encore plus fort.
Après un plein, nous allons voir l’Ailefroide dont la face Nord est impressionnante par sa verticalité. Nous suivons la ligne de crête plein nord sur le Pic Coolidge pour se lancer à l’assaut du plus grand des géants : la Barre des Ecrins. Attention si l’on passe cette ligne à l’ouest et que ça descend, la seule belle vache est au refuge du Carrelet soit une récup. de 6 heures en partant du Granon. Et oui car la route s’arrête à La Bérarde et il y a 1h10 de marche pour arriver au refuge. J’ai fait le repérage à pied, le patron s’appelle Auguste (eh oui lui aussi ) et son âne Totor, s’il est aussi sympathique qu’à Laragne, il pourra sans doute descendre l’aile sur son dos !
Lors d’un autre vol un pilote stéphanois Pascal Essertel, que j'avais prévenu juste à temps s’était aventuré bien à l’ouest de cette crête, et était revenu en passant dans le col des avalanches avec 20 mètres de chaque côté des plumes. Je le vois encore et regrette d’avoir raté une très belle photo !
Je tente un premier assaut sur la face sud-est et là surprise ! Malgré les apparences ( 1300 m de rocher vertical chauffés depuis le matin ) nada, je n’ai pas d’autre choix que de suivre cette immense barre qui porte bien son nom. Dans ces cas là, on rentre tout ce qui peut dépasser, on serre les fesses, ça sert à rien mais c’est instinctif ! et on se dit que là dedans il y a forcément un endroit où ça monte. Puis on sait qu’au pire il y a une immense vache : Le pré de Mme Carle à 4km à 1800 m.
On est encore à 3400m, donc tout va bien à condition de ne pas choper un – 8 m/s pendant 2 minutes comme cela m’est déjà arrivé dans ces coins, quand je faisais mes classes. Ce jour là, c’était tellement calme que je reste zen et tout au bout après la pointe de la Grande Sagne, ça remonte bien. Je fais 4235m et retourne plein Ouest sur le sommet de la barre en suivant la crête et en espérant un petit dynamique sur la face nord, immaculée de glace, mais plus je me rapproche plus ça descend, frustrant ! je décide donc de faire le tour pour attraper un thermique sur la face ouest qui donne naissance à un petit cum.
Au passage je survole les deux immenses crevasses d’un beau bleu turquoise où l’on pourrait y cacher un troupeau d’éléphants ! non rassurez vous je ne suis pas en hypoxie les éléphants ne sont pas roses et en plus cette année j’ai arrêté le pastis dans ma gourde. Ca marche, le thermique est bien là je passe vertical de la croix sommitale que je mitraille de photos ; c’est l’extase ! un cocktail indescriptible d’émotions, moi qui n’ai jamais fait d’alpinisme je comprends ce qui les motive, une vue presque irréelle, j’ai l’impression d’avoir changé de monde !
Je préviens mon ami François qui me rejoint que je pars sur Roche Faurio. Au Nord : pas grand chose je suis la ligne de crête vers Pic de Neige Cordier où je trouve de quoi refaire 4100 pour traverser sur Pic Gaspard. Je retrouve de quoi refaire le plein pour partir à l’assaut de la Meije : le troisième géant de pierre. Là, je fais plusieurs tentatives et je finis par survoler le doigt de Dieu en finesse à 50 m au-dessus comme un maraudeur. Encore l’extase, et sans ecstasy ! François qui a fait le détour par la face Ouest de la Grande Ruine me voit et je lui indique la pompe de Pic Gaspard qui m'a permis de passer sur la Meije, mais je suis encore surpris que la face sud de la Meije ne donne pas, elle est vertigineuse, normalement elle devrait être alimentée par la vallée qui vient de la Bérarde.
J’en conclus que les schémas classiques ne fonctionnent pas toujours en haute montagne, mes seuls repères sont les cums et les pompes que j’ai localisées après de nombreux vols de prospection.
Il ne me reste plus qu’à rentrer au Casset en passant par les Agneaux.
Je garderai ce vol comme le plus beau de mes 21 ans de vol libre c’est pourtant loin d’être le plus long.