ACRO - Le risque caché de l'acrobatie en deltaplane
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- Publication : vendredi 1 mars 2013 15:34
- Écrit par John Heiney
Copyright 2007 John Heiney / Traduction française par Hélène Spitalier pour Wikidelta.com avec l'autorisation de l'auteur
Il est évident qu'il est dangereux de piloter un deltaplane sur le dos : si vous évaluez mal votre vitesse ou votre incidence vous pouvez, pendant la ressource, soumettre la structure de votre aile à des contraintes allant jusqu'à la casse. Si vous contrôlez mal votre énergie, vous pouvez vous arrêter, durant la phase ascendante ou lorsque vous êtes sur le dos, partir en glissade sur le côté et entrer en tumbling (rotation brutale vers l'avant autour de l'axe de tangage, auto-entretenue et incontrôlable). Si cette perte de contrôle se fait près du sol, vous pouvez vous écraser. Si vous n'avez pas sagement anticipé l'espace nécessaire à votre pratique, vous risquez la collision avec un autre libériste.
Il y a un autre risque que j'ai moi même expérimenté en 1988 et dont on m'a reparlé récemment. Voilà le scénario : vous êtes à l'envers ou bien ayant à peine dépassé le sommet de votre manoeuvre. Peu importe que vous ayez beaucoup d'énergie emmagasinée et soyez en train de tirer un peu pour accélérer en vue de la prochaine manoeuvre, ou que vous soyez lent ou même à l'arrêt. Vous groupez tout votre corps vers l'avant pour accélérer au maximum.
C'est là que pendant quelques secondes vous vous retrouvez plongeant verticalement à une vitesse jamais envisagée par aucun concepteur de delta. Selon le design de votre deltaplane, vous risquez d'atteindre une vitesse où la déformation de la structure, due aux frottements, détend la partie arrière de la voile. Or cela peut affecter la stabilité de l'ensemble du système qui dépend de la tension correcte de la voile sur sa structure (par le jeu des câbles de rappel et des balestrons) et qui perd alors son efficacité. Je pense que cela peut se produire sur n'importe quel delta souple performant.
C'est alors que la barre de contrôle peut devenir « molle » sur l'axe du tangage (sans résistance). Comme beaucoup le confirmeront, c'est une sensation très déconcertante, surtout à plus de 145 km/h en piqué vers le sol. Nous, pilotes de delta, aimons et devons ressentir une légère résistance dans la barre de contrôle quand nous décidons d'accélérer au-delà de la vitesse barre au neutre ; cela nous conforte dans le fait que le système auto-stable de notre delta fonctionne. Face à cette situation inhabituelle et urgente, le fait de ne pas rencontrer de résistance dans la barre de contrôle conduit la plupart d'entre nous à pousser la barre trop brusquement et trop loin.
Il y a peu, j'enseignais l'acrobatie en Norvège et un incident m'a alerté sur le fait que ce danger pouvait être d'autant plus grave que le delta a un design peu vrillé. Un de mes élèves a été remorqué et a effectué ses deux premiers loopings individuellement, c'est à dire qu'il a exécuté un premier looping, a stabilisé son delta en palier, puis a plongé pour engager le deuxième looping. Il pilotait un delta sans mât populaire et moderne. Lors du vol suivant, il a décidé d'enchaîner deux loopings successivement. Un peu après le sommet du premier looping, mais avant d'être dans la partie verticale de la descente, il a tiré à fond en prévision du second.
Plus tard, après s'être posé sans problème, il a dit n'avoir senti aucune résistance au moment de ramener la barre pour la ressource. Quand il a poussé la barre, le delta a brutalement cabré prenant plusieurs G. Depuis le sol, nous avons entendu un bruit sourd. C'était le bruit de sa barre de contrôle heurtant violemment son casque intégral au moment de l'accélération maximale et/ou de la casse simultanée de presque tous les clips de ses lattes du côté droit relâchant la tension des lattes et/ou de la casse de la plaque rigide dorsale de son harnais. Nous l'avons vu effectuer une jolie rotation de 180 degrés sur la droite, avant de stabiliser son vol.
Il a bien posé mais son aile delta a du être entièrement révisée. Sa quille était enfoncée au-dessous du point d'accroche. Le support de son vario était cassé et sa mâchoire douloureuse. Il est probable que son casque intégral l'ait sauvé d'une perte de conscience en plein vol, ce qui aurait eu des conséquences fatales. Il avait du prendre 6 ou 7 G, voire plus ? Que la structure rigide du delta n'ait pas cédé prouve sa solidité ; notons cependant que ce pilote était plus léger que la moyenne.
Je pense que dans cette situation, on peut considérer que le delta est en chute libre et ne se comporte plus du tout comme une aile. Il tombe verticalement et n'a plus aucune portance puisque son angle d'attaque est nul. Si le pilote est capable de pousser la barre de contrôle en utilisant sa propre masse, il augmente l'incidence; l'aile retrouve alors brutalement de la portance mais à une incidence qui est beaucoup trop élevée pour une telle vitesse. La barre de contrôle part violemment vers l'avant et est arrachée des mains du pilote bien au-delà de ce à quoi il peut résister. Malgré tous ses efforts pour la retenir, le delta cabre, incontrôlable.
Un jour de chance, on peut imaginer que le deltaplane résiste à l'accélération, qu'il se redresse presque à la verticale et que le pilote parvienne à retrouver un vol normal, la vitesse diminuant. C'est ce qui m'est arrivé en 1988 lors de la Mystic Special. Le pilote norvégien a vécu un scénario intermédiaire dans lequel le delta a subi une dégradation partielle de sa structure permettant néanmoins au pilote de se poser sans se blesser. Les norvégiens m'ont aussi parlé d'un autre pilote qui avait survécu à une série d'événements semblables.
Dans le pire des cas, le pilote perd connaissance quand sa tête heurte la barre de contrôle et/ou le delta est démoli par l'accélération qu'il n'a pas pu encaisser. Un pilote inconscient ne peut pas lancer son parachute de secours. Ce phénomène pourrait éclairer certains accidents du passé non élucidés jusque là.
Je ne sais pas si pousser la barre plus doucement pourrait changer l'issue. Il est bien possible qu'après avoir accéléré au point de perdre toute sensation dans la barre il n'y ait pas de recette pour revenir à un vol normal.
Aucune autorité compétente ne teste les deltas aux vitesses extrêmes que l'on rencontre en acrobatie (tous les grands constructeurs précisent que leurs modèles ne sont pas conçus pour la voltige – note de la traductrice) En effet ce serait difficile, cher et dangereux pour les pilotes d'essai. Pour réussir ces tests, les deltas devraient être plus lourds, plus chers et beaucoup moins drôles à piloter. Il existe donc une bonne raison pour que à chaque delta soit associé une VNE (vitesse à ne jamais dépasser).
Il est important de comprendre que vous n'avez même pas besoin d'aller jusqu'à cette vitesse où la barre devient « molle » pour vous faire une grosse frayeur au moment d'entamer le looping. A chaque fois que vous plongez à une vitesse qui déforme la structure de votre delta et que vous laissez filer la barre trop vite, la pression dans la barre peut monter à pic, produisant une ressource très violente et incontrôlable. On nomme ça la divergence positive en tangage.
Donc même dans ce dernier scénario plus proche de la normale, tous les périls précédemment mentionnés peuvent se produire : la barre de contrôle frappant votre visage, la perte rapide de vitesse conduisant au décrochage lors de la remontée et l'endommagement ou la casse de la structure du delta.
A l'époque des premiers loopings en deltaplanes souples, il fallait vraiment tirer à fond pour atteindre la vitesse nécessaire pour boucler un looping avec encore une petite réserve d'énergie. Cela obligeait à pousser la barre à fond puis à la ramener rapidement vers l'arrière, tout en regroupant son corps en « boule » pour concentrer sa masse le plus en avant possible. Aujourd'hui, l'acrobatie delta demande une nouvelle habileté : celle de savoir éviter les trop grandes vitesses.
Ecrit par John Heiney et publié en mars 2008 dans « Hang Gliding & Paragliding Magazine » en complément d'un premier article : « The Ups and Downs of Freestyle Hang Gliding » publié dans le numéro de Juillet 1994 de « Hang Gliding Magazine », consultable sur le site johnheiney.com - Un énorme merci à Hélène Spitalier pour la traduction en français avec autorisation de l'auteur pour Wikidelta.com. Tous droits de reproductions réservés.